Ventes d’armes et sécurité privée, la face cachée de la Chinafrique
Alors que le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) vient de se terminer, en présence d’une cinquantaine de chefs d’État africains, deux études publiées fin août mettent en lumière un autre visage de la présence chinoise en Afrique : celle du commerce des armes et des sociétés de sécurité privées.
Le commando arrêté fin décembre à la frontière entre le Cameroun et la Guinée équatoriale, alors qu’il s’apprêtait à commettre un coup d’État contre Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, était certes peu préparé. Mais les Centrafricains, Camerounais et Tchadiens qui le composaient disposaient d’un équipement suffisant pour parvenir à leurs fins, dont des mitrailleuses et des lance-roquettes. Une partie de cet arsenal était de fabrication chinoise. Loin d’être anecdotique, cette présence d’armes made in China entre les mains de mercenaires africains éclaire sans fard un autre visage de la Chinafrique : celui du trafic d’armes et de la sécurité.
Remplacer les anciennes puissances coloniales
Selon le Stockholm international peace research institute, les ventes d’armes chinoises en Afrique ont augmenté de 55% entre 2013 et 2017, par rapport à la période 2008-2012. Sa part de marché est désormais de 17%, soit supérieure à celle des États-Unis (11%). Dans une étude publiée fin août et intitulée « The secret chinese arms trade in the horn of africa », le cabinet d’analyse de risques Exx Africa révèle comment l’empire du Milieu cherche à « remplacer les sources traditionnelles d’approvisionnement en armes de l’Afrique, en particulier les anciennes puissances coloniales et les anciens pays soviétiques d’Europe orientale ».
L’implantation d’une base militaire chinoise à Djibouti, en 2017, a favorisé cette expansion et permis en particulier au Soudan et au Soudan du Sud – où les intérêts chinois sont importants – d’acquérir de l’armement malgré les restrictions dont les deux pays font l’objet. Les forces gouvernementales soudanaises auraient ainsi pu acquérir en 2018 des lance-roquettes WS-1 de 302 mm, des missiles anti-chars Red Arrow-8, des munitions de type 12,7 et de type 54.
Des armes chinoises nouvellement acquises ont par ailleurs été retrouvées au Darfour par des experts de l’ONU, y compris dans les rangs des rebelles anti-gouvernementaux. Ces derniers ne sont cependant pas directement alimentés en armes par la Chine, qui demeure un soutien du régime d’Omar el-Béchir. Le vol de cargaisons et l’achat via d’autres soutiens étrangers sont des sources plus vraisemblables. Rien d’étonnant à ce que ces équipements finissent ensuite entre les mains de mercenaires qui monnayent leurs services dans la région.
Les « amis » soudanais et sud-soudanais
Des sociétés chinoises financent également l’achat d’armes, parfois non chinoises, pour leurs « amis » soudanais et sud-soudanais. La Chine se soucie peu des sanctions internationales. La présence du général sud-soudanais Gabriel Jok Riak au Forum sino-africain sur la défense et la sécurité, à Pékin fin juin, malgré les sanctions de l’ONU qui l’empêchent théoriquement de voyager, en est un autre exemple. Riak, nommé chef d’état-major de l’Armée populaire de libération du Soudan en mai dernier, y a notamment négocié le transport d’armes à destination de l’armée du Soudan du sud, probablement via Djibouti.
Sécuriser la « nouvelle route de la soie »
L’expansion du commerce d’armes chinoises s’accompagne par ailleurs d’une présence accrue de sociétés de sécurité privées basées à Pékin, relève de son côté le Mercator Institute for China Studies (Merics), dans son étude « Guardians of the belt and road ». Afin de sécuriser ses investissements, un besoin devenu impérieux avec la « nouvelle route de la soie », Pékin a de plus en plus recours à ces entreprises.
Elles sont plus de 5000 en Chine qui emploient près de 4,3 millions de personnes. Seules une vingtaine seraient aujourd’hui présentes à l’étranger, mais certaines d’entre elles ont déjà été impliquées dans divers évènements en Irak, au Soudan et au Soudan du Sud, notamment dans la libération d’otages et l’évacuation de ressortissants. Beijing DeWe Security Services Limited Company, dirigée par Li Xiaopeng, s’est par exemple chargée d’évacuer 300 employés de la China National Petroleum Corporation (CNPC), à Juba en juillet 2016, lors d’affrontements entre milices locales.
Peu expérimentées, ces sociétés se distinguent de leurs homologues internationales par le fait qu’elles se vantent de ne pas disposer d’armes – comme c’est le cas en Chine, où la loi l’interdit. Mais, comme le souligne Merics, la législation n’aborde pas ce sujet dans le cas d’opérations à l’extérieur. Et comme Pékin n’envisage pas de déployer un jour son armée, afin de respecter son principe de non ingérence, il est fort probable que les compagnies de sécurité chinoises, qui se développent dans un secteur très concurrentiels où évoluent notamment les Russes, les Américains, les Israéliens et les Sud-africains, finissent par y avoir recours.
Elles ont en outre un avantage : elles coûteraient jusqu’à douze fois moins chers que ses homologues occidentales. L’utilisation de ces compagnies, pour la plupart très proches voire reliées directement au PCC, pourrait être stratégique pour la Chine : « Leur caractère privé permettrait à Pékin un déni plausible dans les pires scénarios tout en récoltant les bénéfices des missions réussies dans les meilleurs scénarios », conclut Merics
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