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AFRIQUE DU SUD : AU NOM DU PLATINE

Membre des cinq économies émergentes que constituent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), l’ Afrique du Sud doit beaucoup à ses matières premières. Véritable vivier économique, leur exploitation attire des investisseurs étrangers depuis plus d’un siècle. Mais aujourd’hui le secteur ne tient plus ses promesses et la crise se joue sur fond de profond malaise social.

Riche en ressources naturelles, l’Afrique du Sud est l’un des plus gros exportateurs mondiaux en produits miniers. Les extractions d’or, de diamant, d’argent, de platine ou de charbon gonflent le produit intérieur brut (PIB) du pays à 349,8 milliards de dollars[i], selon les estimations de la Banque mondiale en 2014. La même année la part du secteur minier, tous produits confondus, représentait 21%[ii] de ce chiffre.

Aujourd’hui placée au premier rang mondial dans l’extraction de platine loin devant la Russie, l’Amérique du Nord et le Zimbabwe, l’Afrique du Sud a hérité des européens une longue tradition minière. A la fin du XIXe siècle, à l’apogée des rivalités entre anglais et hollandais pour l’accaparement de certaines terres du pays, des découvertes en or et en diamant ont mené à la construction de mines. Leur exploitation a ainsi permis de rendre florissante l’économie de l’Afrique du Sud, phénomène qui s’est poursuivi avec l’extraction d’autres ressources souterraines.

Mais aujourd’hui le pays doit faire face à la chute des cours des matières premières au niveau mondial, notamment en ce qui concerne le platine. Les trois grands géants du secteur présents en Afrique du Sud à savoir Anglo American Platinum, Impala Platinum et Lonmin constatent une baisse régulière de la demande de ce métal principalement utilisé dans l’industrie automobile et la joaillerie. L’un des premiers facteurs serait le ralentissement de la croissance chinoise, dont le pays figure parmi les premiers partenaires économiques sud-africains. Les conséquences d’une réduction des exportations sud-africaines en platine porteraient un sérieux coup à l’économie du pays puisque 9% du commerce extérieur est dû à ce métal[iii]. Mais il s’avère que c’est surtout le mois de septembre 2015 sous les conséquences de « l’affaire Volkswagen » qui pourrait signer le début de la fin du recours au platine dans l’industrie automobile. Le 22 septembre dernier, l’Agence Américaine de protection de l’environnement (EPA) accusait le constructeur allemand d’avoir installé un logiciel visant à truquer le résultat des tests mesurant l’émission de CO² dans des voitures à moteur diesel. Or le platine est utilisé pour la fabrication de pots catalytiques des moteurs diesel, ce qui pourrait être fatal à la commercialisation du métal si les acheteurs venaient à privilégier les modèles à essence. L’illustration de cette chute de la demande est visible à travers le recours massif aux suppressions d’emplois dans le secteur. En juillet dernier, pour pallier la chute des prix du platine, les entreprises Lonmin et Anglo American Platinum annonçaient le prochain licenciement de 6000 salariés[iv]. Le 7 octobre, c’est l’entreprise anglo-suisse Glencore qui mettait en maintenance la mine d’Enland, provoquant ainsi la suppression de 818 emplois[v]. Cette décision est significative pour un pays où 8% de la population active[vi] est employée dans le secteur minier et où le taux de chômage aux premiers mois de 2015 affleurait les 26.5% chez les individus en âge de travailler et en recherche d’emploi[vii].

Car ce qui rend dramatique la crise que traverse le secteur minier en Afrique du Sud, c’est la tension sociale qui se crispe autour des conditions de travail et des revendications salariales.

En 2012, la grève des travailleurs de la mine de Marikana, qui avait bénéficié d’une large couverture médiatique, avait fait 34 morts parmi les mineurs qui demandaient une augmentation de salaire. Deux ans plus tard, c’est une nouvelle crise qui éclate dans cette même mine sous l’impulsion du syndicat des mineurs ACMU (Association of mineworkers and construction union) qui réclame un salaire minimal de 12.500 rands (environ 860 euros brut par mois). Les menaces de restructuration lancées par les patrons ont conduit le président de la République Jacob Zuma à nommer un nouveau ministre des mines. Le fin mot de l’histoire se résume par l’acceptation des conditions salariales par le patronat est un arrêt de la grève[viii].

Cependant, si cette augmentation est salutaire pour les centaines de mineurs qui vont en bénéficier, elle ne masque pas la réalité des conditions de travail dans ces mines. Dans un pays qui peine à apaiser les profondes séquelles de son histoire, la précarité économique et la violence demeurent. Les mineurs, souvent isolés de leur famille, vivent dans des baraquements de fortune à proximité de la mine, de ses rejets toxiques et à la merci de maladies qu’on aurait cru éradiquées. Pour le sociologue Adam Habib : “cent ans après le début de l’exploitation minière dans ce pays, le mode de vie des gens dans les mines est le même qu’au début du 20e siècle”[ix]. La condition des femmes ouvrières reste également préoccupante même si les employeurs semblent s’atteler à cette question. Autorisées à travailler dans les mines depuis 1996, certaines doivent faire face à des remarques sexistes, au harcèlement moral et à des agressions sexuelles[x]. Si cette réalité semble exister dans tous les secteurs et dans tous les pays, il n’en reste pas moins que cela reste particulièrement dramatique et effrayant pour toute personne travaillant à des centaines de mètres sous terre.

Ainsi l’Afrique du Sud, poumon économique du continent, doit faire face à une économie qui s’essouffle. Ses ressources naturelles ne vont bientôt plus suffire pour la faire sortir du sempiternel classement des économies émergentes. Mais au-delà, c’est une crise bien plus profonde qui peine à s’achever. Si la fin de l’apartheid peut s’acter en 1994, la réalité ne semble pas changer et les violences continuent. Violences physiques et violences sociales dont le travailleur semble le seul à pâtir.

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