Cela induit de facto une forte dépréciation de la monnaie nigériane. Or un naira faible est une mauvaise nouvelle pour le Bénin, dont le franc CFA est arrimé à l’euro et qui, jusqu’à présent, s’est constamment positionné comme une économie de transit à destination du Nigeria.
Désormais, le riz, l’huile et le sucre importés via le Bénin risquent de coûter beaucoup plus cher que ceux produits au Nigeria. De même, les véhicules d’occasion importés d’Europe ou d’Amérique via le port de Cotonou seront moins compétitifs. Les recettes douanières et fiscales, principales sources de revenus du Bénin, pourraient ainsi être sous pression pour une assez longue période.
Il nous faut réagir avec promptitude tout en étant inventif. Voisin direct du Nigeria, le Bénin est géographiquement plus proche de Lagos que le Cameroun, le Tchad ou le Niger. Tels Hong Kong pour la Chine, Singapour pour l’Asie ou Dubaï pour l’espace méditerranéen, il se doit d’exploiter cette position stratégique. Il me plaît de formuler ici trois mesures fortes destinées à arrimer résolument l’économie béninoise à celle du Nigeria.
La première consisterait à créer à l’intérieur du territoire béninois une enclave monétaire, juridique et fiscale dans laquelle les hommes d’affaires nigérians pourraient venir commercer librement sans s’exposer au risque de change et avec, pour certaines activités, une fiscalité alignée sur celle du Nigeria.
Les investisseurs, notamment européens, intéressés par l’immense marché nigérian mais frileux du fait de sa complexité pourraient passer par cette enclave. L’objectif est clair : positionner le Bénin comme la principale porte d’entrée vers le géant ouest-africain et continuer de faire du pays un débouché intéressant pour les hommes d’affaires nigérians. La zone franche industrielle de Kraké, laissée à l’abandon depuis des années, pourrait servir.
Deuxième mesure : adapter notre dispositif juridique et réglementaire à celui du Nigeria. En tant qu’ancienne colonie, le Bénin est une juridiction de « droit civil » et d’inspiration française. Nous partageons ce cadre juridique au sein de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada).
C’est une bonne chose, mais, de manière stratégique, nous devrions rapprocher notre cadre réglementaire – notamment en ce qui concerne l’investissement – de celui de notre voisin. Par exemple, la loi sur les partenariats public-privé, en cours d’élaboration au Bénin, devrait s’inspirer à la fois des corpus français et nigérian.
Malgré la crise actuelle, le marché financier nigérian est très important et largement liquide. C’est ce qui explique que plus de 85 % de la dette publique de ce pays est intérieure et en devise locale. Les investisseurs nigérians s’intéressent de plus en plus à l’Afrique francophone. Le Bénin devrait être en mesure de capter une partie de cette liquidité en mettant en avant sa position de passerelle entre la zone Ohada et la zone « Common Law ».
Je rêve de voir demain de grands projets d’infrastructures financés au Bénin par des investisseurs nigérians, comme l’a été en grande partie le pont Henri-Konan-Bédié à Abidjan.
Enfin, je pense que nous devrions faire de l’anglais la deuxième langue officielle du Bénin et instaurer le bilinguisme systématique dès l’école primaire. J’entends d’ici les cris d’orfraie. Je suis attaché au français, mais nous devons être pragmatiques. Beaucoup de Béninois parlent le yoruba ou le haoussa, comme au Nigeria. Dans dix ans, il faudrait que plus de 75 % d’une classe d’âge soit parfaitement bilingue, afin de pouvoir travailler depuis le Bénin pour le compte d’entreprises nigérianes.
Certains diront que ce n’est pas possible, mais l’exemple du Rwanda en la matière est édifiant. Pouvoir converser avec des investisseurs sans interprète est important, et, qu’on le veuille ou non, la langue des affaires demeure l’anglais.
Le Bénin doit se considérer comme une start-up de la nouvelle économie, à l’instar de Facebook ou de LinkedIn. Son principal atout réside désormais dans les 700 km de frontière terrestre qu’il partage avec le Nigeria. Chacune des connexions qui seront développées avec le géant voisin sera un plus pour notre économie. Réussir ce pari passe par une réflexion à long terme, et c’est ce à quoi devrait servir le prochain plan stratégique béninois.